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L’employeur peut-il soumettre un salarié à un alcootest ?
Par Pierre Robillard, Avocat.

Adresse de l'article original :
http://www.village-justice.com/articles/employeur-soumettre-salarie-alcootest,16349.html
Voir également au dessous les commentaires du cabinet RICHER et ALLEGRE
ainsi que
les textes du LAMY envoyés pas Almériane
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Face à cette question très pratique, l’employeur est bien démuni : s’il peut nourrir de sérieux doutes quant à l’état d’ébriété d’un de ses employés, il doit aussi s’interroger sur la limite de son pouvoir hiérarchique, qui pourrait confiner ici à celui des forces de l’ordre. Pourtant, s’il n’agit pas, sa responsabilité peut être mise en cause pour avoir laisser travailler un salarié qui présente un danger aussi bien pour lui-même que pour les autres … Au-delà du cas de l’alcootest, c’est toute la question du contrôle des salariés qui est posée.

Le Code du travail prévoit que tout employeur est tenu à une obligation de sécurité et de résultat quant à la santé des salariés et qu’il lui est formellement interdit de « laisser entrer ou séjourner dans les lieux de travail des personnes en état d’ivresse  » (article R 4228–21).

Plus généralement, en vertu de son pouvoir de direction, il peut surveiller et contrôler l’activité de ses salariés durant le temps de travail (lequel est précisément rémunéré) ; néanmoins, les dispositifs de contrôle doivent être « justifiés par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché » (article L 1121-1 du Code du Travail).

De cette formule volontiers subjective, la Cour de cassation a développé une jurisprudence basée principalement sur le respect de l’intimité de la vie privée à laquelle le salarié a droit « même pendant le temps et sur le lieu de travail », ainsi que sur le respect plus général de la loyauté contractuelle.

Sur ce dernier point d’ailleurs, l’employeur ne peut pas recourir à des dispositifs de contrôle qui n’auraient pas été préalablement portés à la connaissance des salariés, aussi bien individuellement que collectivement ; on pense immédiatement à la preuve de cette information, qu’il convient donc d’assurer par écrit et d’en garder la trace.

A mentionner dans le règlement intérieur.

Appliqué à notre cas concret de contrôle par éthylotest, cette information doit obligatoirement figurer dans le règlement intérieur où seront prévues les conditions de travail auxquelles il est susceptible de s’appliquer : par exemple un salarié manipulant des produits dangereux ou affecté à une machine particulière, conduisant un véhicule, etc. (circulaire DRT 83 du 15 mars 1983). Si la présence d’un tiers lors du contrôle n’est pas indispensable, la Cour de cassation estime en revanche qu’il doit pouvoir faire l’objet d’une contestation par le salarié concerné dans la mesure où son résultat positif peut déboucher sur un licenciement (Cass. Soc. 22 05 2002, n° 99-45878 ; 24 février 2004, n°01-4700). Néanmoins, la Cour ne précise pas les modalités de cette contestation, laissant à l’employeur la charge de démontrer la fiabilité du système utilisé et, là aussi, d’en conserver la preuve. Il convient donc de s’assurer que l’éthylotest utilisé (il en existe profusion sur le marché grand public) répond à toutes les normes en vigueur.

Des parallèles avec le code de la route.

Précision sémantique : si alcootest et éthylotest sont ici synonymes, le suffixe –test permet à l’appareil de déterminer la présence d’alcool tandis que –mètre (dans « éthylomètre ») désigne l’instrument de mesure du taux d’alcool. On peut donc dire que l’éthylomètre sert à confirmer et mesurer le taux d’alcool suite à un contrôle positif par éthylotest (source : http://www.securite-routiere.gouv.fr/connaitre-les-regles/questions-frequentes/questions-frequentes-sur-l-ethylotest).

On peut également se poser la question de savoir comment le chef d’entreprise doit réagir si le salarié refuse de se soumettre à l’éthylotest. Le Code de la route prévoit quant à lui que la peine encourue est équivalente à celle d’un contrôle positif, ce qui a le mérite du pragmatisme, tandis que le Code du travail est muet sur ce sujet. Doit-il en arriver à retenir (physiquement) le salarié sur place en attendant l’arrivée des policiers pour « faire souffler » l’intéressé ?

Quant au prélèvement sanguin, il n’entre pas dans les pouvoirs de l’employeur et ne peut être pratiqué que par le médecin du travail lors d’une visite ; de surcroit, le consentement du salarié concerné est indispensable. Et son résultat ne peut de toute façon pas être communiqué à l’employeur puisqu’il est couvert par le secret médical ; il sert seulement à vérifier l’aptitude du salarié au poste.

Boire ou travailler, il faut choisir ( ?)

Quoiqu’il en soit, il arrive à la Cour de cassation de s’affranchir de la preuve objective que peut fournir l’éthylotest en retenant « l’état d’ébriété régulier » sur le lieu de travail comme constitutif d’une faute grave pour un directeur d’agence dont le bureau, selon une collègue, dégageait une odeur d’alcool après les pauses déjeuners tandis qu’un client émettait l’avis qu’il avait « tendance à boire plus que de raison ». On s’approche ici de la notion « d’ivresse manifeste » prévue par le Code de la Route (article L 234-1) qui permet de sanctionner les automobilistes même en l’absence de mesure exacte du taux d’alcool dans le sang. Les procès-verbaux invitent les forces de l’ordre à cocher les items correspondant à leurs constatations, telles que l’odeur d’alcool émanant de l’haleine du contrevenant, son comportement (agressif et/ou énervé ?), son regard (voilé ?), son allocution (pâteuse et bégayante ?), ses explications (répétitives et embrouillées ?), son équilibre (titubant ?) …

En revanche, ce n’est « que » la faute simple qui a été retenue pour un chauffeur de poids lourd dont le taux d’alcoolémie relevé par la gendarmerie lors d’un contrôle s’est avéré inférieur au taux pénalement punissable et ce alors même que le règlement intérieur ne proscrivait pas totalement la consommation boisson alcoolisée pendant le service. Cet arrêt remonte à plus de 20 ans (Cass. Soc. 9 juillet 1991, n°2663D) ; la sévérité accrue en matière de sécurité routière ces dernières années pourrait aujourd’hui conduire la Chambre sociale à adopter une position plus stricte aujourd’hui.

Néanmoins, quelques décisions récentes démontrent une appréciation relativement souple de la faute : ainsi d’un salarié qui, bien qu’en état d’ébriété sur son lieu de travail, n’avait pas eu d’antécédent ni aucune répercussion sur la qualité de son travail, ne pouvait pas être licencié pour faute grave bien qu’utilisant des outils potentiellement dangereux (Soc. 8 juin 2011, n°10-30162) ; ou encore une aide-soignante prenant son service de nuit en état d’ébriété mais pour laquelle il s’agissait d’une faute isolée en 23 ans d’ancienneté (Soc. 16 décembre 2009, n°08-44984).

Alcool versus stupéfiants : le retard du législateur.

Compte tenu de l’évolution des mœurs, il est particulièrement frappant de constater que le Code du travail ne prévoit aucune disposition spécifique, à l’instar de la consommation d’alcool, quant à l’usage de stupéfiant. Pourtant, les risques induits sont incontestablement similaires à ceux de l’état d’ébriété : en dehors même du manque de concentration pouvant favoriser les erreurs, le risque d’accident et de conflits relationnels. Par défaut, c’est donc le principe rappelé ci-dessus qui doit s’appliquer : l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité et de résultat quant à la santé et à la sécurité des salariés, doit en assurer l’effectivité.

C’est vers le médecin du travail qu’il faut se tourner, d’abord pour indiquer les postes pour lesquels un dépistage de toxicomanie paraît justifié, en fonction là aussi des tâches à accomplir, de leur exposition au danger, sans que cela ne débouche sur une recherche systématique appliquée à l’ensemble de l’effectif. Pour aider les employeurs à y voir plus clair, la documentation française (avec la contribution d’une mission interministérielle et de la Direction Générale du Travail et de l’INRS vient à la rescousse en proposant un guide pratique intitulé « Repères pour une politique de prévention des risques liés à la consommation de drogue en milieu professionnel » (de surcroît téléchargeable gratuitement sur le site [http://www.drogues.gouv.fr/fileadmin/user_upload/site-pro/04_actions_mesures/05_actions_2008-2011/Milieu_pro/Guide-conduites-addictives-milieu-pro_Mildt-2012.pdf)

C’est ainsi qu’une liste des postes de sûreté et de sécurité pouvant légitimer un dépistage médical doit être dressée au sein de l’entreprise, compte tenu de son activité et de son organisation de travail, après avis des représentants du personnel, afin d’être annexée au règlement intérieur. Dans les entreprises dépourvus d’un tel règlement, cette liste fera l’objet d’une note de service.

Ce silence des textes n’empêche néanmoins pas de recourir à un test salivaire (en vente au grand public comme les éthylotests d’ailleurs) pourvu que le salarié occupe un poste pour lequel l’usage de drogue est susceptible de mettre en jeu sa sécurité ou celle de tiers (sans oublier, bien entendu la mention explicite d’une telle possibilité dans le règlement intérieur).

Les résultats du test de dépistage, soumis au secret médical, ne peuvent conduire qu’à un avis quant à l’aptitude (ou non) du salarié à occuper son poste.

Dans le contexte d’un droit du travail largement favorable aux salariés, il serait dommage d’oublier l’article L 4122-1 qui, en parallèle, enjoint « chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celle des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail ». En d’autres termes, individu majeur et responsable, le salarié n’est pas déchargé de ses responsabilités dès lors qu’il franchit la porte de l’entreprise.

Maître Pierre ROBILLARD, avocat, spécialiste en droit du travail, diplômé de Sciences Po Paris.


le cabinet Richer-Allègre insère dans son modèle de règlement intérieur

je reviens avec réglementation / jurisprudence
   Il est interdit de pénétrer et de séjourner dans l'établissement en état d'ébriété ou sous l'empire de la drogue.
   Il est interdit d'y introduire et/ou y consommer tout produit stupéfiant. La consommation de boissons alcoolisées est également interdite au regard des impératifs de sécurité nécessités par l'activité de l'entreprise, impliquant une situation particulière de risque ou danger induite par la conduite et la circulation de véhicules.
Un test de dépistage d'alcoolémie pourra être pratiqué, en présence d'un représentant du personnel ou, en cas d'empêchement, d'un membre de l'entreprise, par la Direction sur les conducteurs de machine dont l'état laisse à penser qu'ils sont sous l'empire d'un état alcoolique. En cas de résultat positif, le salarié pourra solliciter une contre-expertise.
En raison des impératifs de sécurité et de maîtrise du comportement requis par leurs fonctions, et considération prise du danger auquel expose le travail sous l’emprise de la drogue pour le salarié ou les tiers, la Direction se réserve la faculté de procéder à un test salivaire de dépistage des drogues inopiné et/ou en cas de suspicion grave sur les personnels suivants :
  • conducteurs routiers
  • conducteurs d’engins de manutention notamment à  conducteur porté,
  • conducteurs de machines
  • préciser les autres personnels concernés le cas échéant (atelier, travail en hauteur, manipulation de produits dangereux…)
     
    Le dépistage sera effectué par un représentant de la direction en présence de deux représentants du personnel ou, en l’absence de ceux-ci, de deux salariés de l’entreprise.
    Le salarié dont le test se révèlerait positif pourra demander une contre-expertise médicale, à la charge de l’employeur, qui aura lieu immédiatement.
    Les personnes amenées à pratiquer un test de dépistage des drogues seront tenues au secret professionnel sur les résultats obtenus.
    En cas de résultat positif ou de refus de se soumettre au contrôle d’alcoolémie ou de consommation de drogues, les procédures disciplinaires prévues au présent règlement pourront être mises en œuvre.
    Le personnel roulant est informé que l'ébriété au volant ou la conduite sous l'emprise de drogues, seront susceptibles d’être sanctionnées par un licenciement immédiat, sans préavis ni indemnité.


Le LAMY gestion sociale du personnel de conduite
nous dit :

Qu'en est-il des tests d'alcoolémie ?
L'employeur ne peut contraindre ses collaborateurs à des examens sanguins, mais il peut leur faire subir un alcootest.
Toutefois, l'utilisation de l'alcootest ne saurait être systématique car elle doit avoir pour objet de prévenir ou de faire cesser une situation dangereuse. En conséquence, un contrôle d'alcoolémie n'est licite que s'il est prévu dans le règlement intérieur et que ses modalités en permettent la contestation et, enfin s'il est réservé aux salariés qui, par la nature de leur travail (conducteurs d'engins, manipulation de produits dangereux...), sont en mesure d'exposer les personnes ou les biens à un danger ( Cass. soc., 22 mai 2002, no 99-45.878 ).
En outre et parce qu'il est considéré comme une atteinte aux droits de la personne, l'alcootest ne peut être pratiqué que moyennant des garanties relatives à la fiabilité du procédé et au respect de la personne (personnes effectuant le contrôle, présence d'un tiers, faculté pour le salarié de réclamer une contre-expertise effectuée par un médecin de son choix, etc.).
Le test n'est pas nécessairement effectué par le médecin du travail, ,mais par une personne ou un organisme désigné par l'employeur (Rép. min., JOAN Q. 10 nov. 1997, no 1177, p. 3964).
Si le Conseil d'État a décidé que l'alcootest ne pouvait pas servir à la recherche d'une faute disciplinaire (CE, 9 oct. 1987, no 72.220), la Cour de cassation s'est, en revanche, prononcée en sens inverse et a admis qu'une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement pour faute grave soit prononcée sur la base d'un alcootest positif ( Cass. soc., 22 mai 2002, no 99-45.878 ).
Par ailleurs, le refus du salarié de se soumettre à un alcootest alors que les conditions de licéité sont remplies, constitue une faute justifiant une sanction.
Sachez-le :l'employeur peut solliciter les services de police ou de la gendarmerie afin qu'ils viennent constater le niveau d'alcoolémie d'un salarié sans qu'il soit nécessaire de faire figurer la possibilité d'une telle démarche dans le règlement intérieur ( Cass. soc., 9 juill. 1992, no 91-42.040 ).

 

SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

Alcootest :
attention aux termes du règlement intérieur !


Un règlement intérieur prévoyait qu’il pouvait être demandé à un salarié de se soumettre à un alcootest si son état présentait un danger pour sa propre sécurité et celle de ses collègues. 

13/11/2014 Jurisprudence Sociale Lamy, n° 374

L’employeur ne pouvait donc soumettre le salarié à un contrôle d’alcoolémie, dans le but de faire cesser immédiatement la situation dangereuse, que si le salarié présentait un état d’ébriété apparent. Ceci n’était pas le cas en l’espèce.

Les faits

Une société de logistique a soumis l’ensemble des salariés d’un service à un contrôle d’alcoolémie. Le résultat s’est avéré positif pour l’un d’entre eux à deux reprises. Le salarié a alors reconnu avoir consommé de l’alcool la veille au soir.

Dans le cadre de ses fonctions, le salarié était amené à conduire des engins de manutention. Compte tenu des risques encourus en matière de sécurité, la société a décidé de le licencier pour faute grave.

Les demandes et argumentations

Le salarié a contesté son licenciement devant les juridictions prud’homales en affirmant que, selon lui, conformément aux termes du règlement intérieur, l’alcootest ne pouvait être pratiqué que si le salarié présentait un état d’ébriété apparent, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. La cour d’appel d’orléans a fait droit aux demandes du salarié et a considéré que le licenciement prononcé sur ce fondement était sans cause réelle et sérieuse.

À l’appui de son pourvoi en cassation, la société a soutenu que les juges avaient dénaturé les termes du règlement intérieur en affirmant que l’alcootest ne pouvait être pratiqué que si le salarié présentait un état d’ébriété apparent. En effet, le règlement intérieur prévoyait que, « le cas échéant, il pourra être demandé au salarié occupé à l’exécution de certains travaux dangereux, notamment la conduite de véhicule et chariot motorisé, de se soumettre à un alcootest si son état présente un dangerpour sa propre sécurité et celle de ses collègues, afin de faire cesser immédiatement cette situation. Le salarié pourra demander à être assisté d’un tiers et à bénéficier d’une contre expertise ».

La décision, son analyse et sa portée

La cour de cassation a rejeté le pourvoi au motif suivant : « maisattendu qu’ayant, sans dénaturation, retenu que l’employeur ne pouvait, selon le règlement intérieur, soumettre le salarié àun contrôle d’alcoolémie, dans le but de faire cesser immédiatement la situation, que si le salarié présentait un état d’ébriété, ce qui n’était pas le cas, la Cour d’appel, qui a justement dénié toute portée au dépistage effectué en violation de ce règlement, a légalement justifié sa décision ».

Si cet arrêt ne révolutionne pas la matière, il n’en demeure pas moins intéressant en ce qu’il permet de rappeler les règles applicables concernant le contrôle d’alcoolémie pratiqué sur les salariés.

• Un contrôle prévu par le règlement intérieur et justifié par des conditions particulières

Le règlement intérieur est un « acte juridique de droit privé », qui s’impose à tous les salariés de l’établissement(1) par lequel l’employeur fixe exclusivement « les mesures d’application de la règlementation en matière de santé et de sécurité dans l’entreprise ou l’établissement » ou encore « les règles générales et permanentes relatives à la discipline »(2). Selon l’article L. 1321-3 du code du travail, le règlement intérieur ne peut contenir des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la nature de la tâche à accomplir ni proportionnée au but recherché.

Dans ces circonstances, l’employeur peut-il imposer aux salariés de se soumettre à un contrôle d’alcoolémie ? La consommation d’alcool par les salariés présente des risques pour leur propre sécurité et celles des tiers. Or, il n’est pas inutile de rappeler que l’employeur est tenu à une obligation de sécurité de résultat à l’égard de ses salariés(3). Par conséquent, il doit prendre toutes les mesures permettant d’assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs(4).

La circulaire du 15 mars 1983 a précisé que le recours à l’alcootest en toute circonstance pouvait être regardé comme portant une atteinte aux droits des personnes et aux libertés individuelles(5). Ainsi, la cour de cassation considère que « les dispositions d’un règlement intérieur permettant d’établir sur le lieu de travail l’état d’ébriété d’un salarié en recourant à un contrôle d’alcoolémie sont licites dès lors [...] qu’eu égard à la nature du travail confié à ce salarié, un tel état d’ébriété est de nature à exposer les personnes ou les biens à un danger »(6). En d’autres termes, seuls certains salariés occupés à l’exécution de certains travaux dangereux peuvent être soumis à un alcootest.

En outre, le contrôle d’alcoolémie, bien que légitimement prévu par le règlement intérieur, doit présenter des garanties de fond pour le salarié. Ainsi, la cour de cassation considère que le salarié doit pouvoir en contester les résultats(7). Toutefois, selon le conseil d’État, l’employeur n’est pas tenu de préciser que l’éthylotest s’effectuera en présence d’un tiers(8).

Dans le présent litige, le règlement intérieur prévoyait que le test d’alcoolémie ne pouvait être pratiqué que sur les salariés occupés à l’exécution de travaux dangereux « notamment la conduite de véhicule de chariot motorisé ». Il convient de souligner que la licéité de la clause du règlement intérieur n’était nullement remise en cause par le salarié.

Des garanties de fond étaient effectivement prévues par règlement intérieur. Il était en outre précisé que le salarié pouvait demander à être assisté d’un tiers et à bénéficier d’une contre expertise.

Le test pratiqué s’était révélé positif à deux reprises. Le salarié ne remettait d’ailleurs pas en cause les résultats puisqu’il avait reconnu avoir consommé de l’alcool la veille au soir. En réalité, ce dernier contestait les circonstances dans lesquelles ce contrôle avait été réalisé.

• Un contrôle respectant effectivement les conditions prévues par le règlement intérieur

La cour d’appel et la cour de cassation suivent l’argumentation développée par le salarié et considèrent que le contrôle réalisé en l’absence d’état d’ébriété manifeste du salarié viole les conditions prévues dans le règlement intérieur.

En effet, la clause prévoyant que l’éthylotest ne peut être réalisé que si l’état du salarié présente un danger pour sa propre sécurité et celle de ses collègues empêche l’employeur de pratiquer ce contrôle à tout moment et sur tous les salariés. Elles subordonnent la mise en œuvre de l’alcootest à la présomption d’état d’ébriété qui doit être établie par l’employeur préalablement. Il s’agissait d’une condition prévue par le règlement intérieur, sans laquelle le recours à l’alcootest n’était pas légal. Les dispositions du règlement intérieur sont claires et non équivoques. Ainsi, l’argument de l’employeur selon lequel les juges auraient dénaturé les termes du règlement intérieur est naturellement rejeté.

Par conséquent, l’employeur aurait dû, dans un premier temps, constater l’état d’ébriété du salarié et dans un second temps, confirmer cet état par un contrôle d’alcoolémie. Or, le contrôle ayant été pratiqué sur l’ensemble des salariés d’un service sans qu’aucun élément de fait ne vienne établir un quelconque état présentant un danger pour la sécurité des salariés, l’employeur a violé les termes de son propre règlement intérieur. Dès lors, le contrôle ne respectait pas les conditions de fond posées par le règlement intérieur.

Ainsi, l’employeur doit être particulièrement vigilant quant aux termes utilisés dans le règlement intérieur. Manifestement, les juges ont procédé à une lecture fidèle du texte et ont estimé que l’éthylotest ne pouvait être pratiqué que si le salarié présentait un état d’ébriété préalablement constaté.
Si cette solution apparaît juridiquement fondée, il n’en demeure pas moins qu’en pratique elle peut être critiquable. En effet, le salarié licencié ne contestait nullement avoir consommé de l’alcool. Ce dernier occupait bien un poste dangereux puisqu’il était amené à conduire des engins de manutention. Or, si l’employeur ne peut pratiquer un alcootest que lorsque salarié présente un état d’ébriété avéré, quels indices permettent à l’entreprise de constater que cette condition préalable est remplie ? Les juges ne répondent aucunement à cette question. Il peut être conseillé aux employeurs de réunir au préalable tout indice et notamment des témoignages certifiant que le salarié n’est pas dans son état normal et que manifestement, il a consommé de l’alcool.

• Les conséquences d’un contrôle alcoolémie positif

Bien qu’il ne s’agisse pas de la question posée à la cour de cassation, il convient de s’interroger sur la possibilité pour un employeur de licencier un salarié pour faute au motif qu’un éthylotest s’est avéré positif.

Il semble que la solution soit différente selon que le contentieux relève des juridictions de l’ordre administratif ou judiciaire. En effet, par deux décisions, certes anciennes, le conseil d’État avait considéré que l’éthylotest ne pouvait avoir pour objet que de prévenir ou de faire cesser une situation dangereuse. Par conséquent, aucune faute ne pouvait être reprochée au salarié sur ce fondement(9).
La cour de cassation considère à l’inverse que « eu égard à la nature du travail confié [...], un [...] état d’ébriété est de nature à exposer les personnes ou les bien à un danger, de sorte qu’il peut constituer une faute grave »(10). L’état d’ébriété du salarié, compte tenu des risques encourus pour la santé et la sécurité de tous, peut justifier un licenciement.

En l’espèce, la cour d’appel a tiré toutes les conséquences d’un licenciement se fondant sur un contrôle d’alcoolémie irrégulier. Elle a ainsi dénué toute portée à ce dépistage. Il ne pouvait donc fonder un licenciement et encore moins un licenciement disciplinaire.

En définitive, dans l’affaire tranchée par la cour de cassation le 2 juillet 2014, l’employeur ne pouvait procéder un contrôle d’alcoolémie préventif qui aurait consisté à contrôler arbitrairement les salariés amenés à travailler sur des machines dangereuses.

La morale de l’histoire peut donc se résumer ainsi : employeur, mesurez bien les termes de vos règlements intérieurs.

TEXTE DE L’ARRÊT

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (orléans, 8 janvier 2013), que M. X..., engagé le 1er février 1999 en qualité de conditionneur par la société Stockalliance, aux droits de laquelle est venue la société ND Norbert Dentressangle Logistics, a été licencié pour faute grave le 23 décembre 2008 à la suite d´un contrôle d´alcoolémie qui s’est révélé positif ; qu’il a saisi la juridiction prud´homale ;
Attendu que l’employeur fait grief à l’arrêt de le condamner à payer au salarié diverses sommes relatives à la rupture du contrat de travail, alors, selon le moyen :
que le contrôle du taux d´alcool d´un salarié sur son lieu de travail n’est licite qu’à la double condition que les modalités de ce contrôle en permettent la contestation et qu’eu égard à la nature du travail confié à ce salarié un tel état d´ébriété soit de nature à exposer les personnes ou les biens à un danger, de sorte qu’il peut constituer une faute grave ; qu’en décidant que le contrôle d´alcoolémie opéré n’était pas conforme au règlement intérieur aux motifs que l’alcootest ne pouvait être pratiqué que si le salarié présentait un état d´ébriété apparent, dans le but de faire cesser immédiatement cette situation dangereuse, cependant que le règlement intérieur prévoyait que l’alcootest pouvait être imposé aux salariés occupés à l’exécution de certains travaux dangereux, notamment la conduite de véhicule et chariot motorisé et dont l’état d´imprégnation alcoolique constituerait une menace pour eux-mêmes ou leur entourage et que les modalités de ce contrôle en permettaient la contestation, la cour d´appel a violé les articles violé les articles L. 1331-1, L. 1232-1 et L. 4122-1 du code du travail ;

que le juge ne peut dénaturer les documents qui lui sont soumis ; que l’article 1er chapitre IV du règlement intérieur litigieux rappelle que « le cas échéant, il pourra être demandé au salarié occupé à l’exécution de certains travaux dangereux, notamment la conduite de véhicule et chariot motorisé, de se soumettre à un alcootest si son état présente un danger pour sa propre sécurité et celle de ses collègues, afin de faire cesser immédiatement cette situation. Le salarié pourra demander à être assisté d´un tiers et à bénéficier       d´une contre-expertise » ; qu’en déduisant de cette clause que l’alcootest ne pouvait être pratiqué que si le salarié présentait un état d´ébriété apparent, dans le but de faire cesser immédiatement cette situation dangereuse, la cour d´appel a dénaturé les termes clairs et précis de l’article 1er du chapitre IV du règlement intérieur de la société ND Logistics et méconnu le principe selon lequel il est interdit au juge de dénaturer les documents qui lui sont soumis ;

Mais attendu qu’ayant, sans dénaturation, retenu que l’employeur ne pouvait, selon le règlement intérieur, soumettre le salarié à un contrôle d´alcoolémie, dans le but de faire cesser immédiatement la situation, que si le salarié présentait un état d´ébriété apparent, ce qui n’était pas le cas, la cour d´appel, qui a justement dénié toute portée au dépistage effectué en violation de ce règlement, a légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
Condamne la société ND Norbert Dentressangle Logistics aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de cette société ;
Ainsi fait et jugé par la cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du deux juillet deux mille quatorze.

 

Cass. soc., 2 juill. 2014, pourvoi no 13-13.757, arrêt no 1314 F-D


Notes
(1) Cass. soc., 16 déc. 1992, no 90-14.337.
(2) C. trav., art. L. 1321-1.
(3) Cass. soc., 11 avr. 2002, no 00-16.535 ; Cass. 2ème civ., 12 mai 003, no 01-21.071.
(4) C. trav., art. L. 4121-1.
(5) Circulaire DRT no 5-83 du 15 mars 1983, relative à l’application des articles 1er à 5 de la loi du 4 août 1982 concernant les libertés des travailleurs dans l’entreprise.
(6) Cass. soc., 22 mai 2002, no 99-45.878.
(7) Cass. soc., 22 mai 2002, no 99-45.878 ; Cass. soc., 24 févr. 2004, no 01-47.000.
(8) CE, 1er juill. 1988, no 81445 ; CE, 12 nov. 1990, no 96721.
(9) CE, 9 oct. 1987, no 72220 ; CE, 12 nov. 1990, no 96721.
(10) Cass. soc., 22 mai 2002, no 99-45.878 ; Cass. soc., 24 févr. 2004, no 01-47.000.